[INTERVIEW] Handicap dans le spectacle vivant: rencontre avec Olivier Couder

Figure incontournable du théâtre contemporain et directeur artistique du Théâtre du Cristal, Olivier Couder a mis en scène une vingtaine de spectacles dans lesquels jouent notamment des comédiens en situation de handicap. C’est cette expérience de plus de 30 ans qu’il raconte dans un livre qui enrichira sans aucun doute les pratiques des différents professionnels de la création, de la culture et du champ médico-social.

Figure incontournable du théâtre contemporain et directeur artistique de la compagnie Théâtre du Cristal, Olivier Couder a mis en scène une vingtaine de spectacles dans lesquels jouent notamment des comédiens en situation de handicap. C’est cette expérience de plus de 30 ans qu’il raconte dans un livre intitulé Présence du handicap dans le spectacle vivant  le Théâtre du Cristal, aventure humaine et challenge artistique. A la fois autobiographie, guide pratique et essai théorique, ce livre hybride a tout pour enrichir les pratiques des différents professionnels de la création, de la culture et du champ médico-social.

Quel était votre objectif en écrivant ce livre?

J’ai souhaité raconter mon expérience à travers 1001 anecdotes, parfois drôles, cocasses, croquignolesques, parfois plus conséquentes. En faisant une monographie de notre aventure et de son développement, j’ai cherché à mieux comprendre et rendre plus intelligible la dynamique art et handicap en France et au niveau international. Je parle de mon expérience en espérant qu’elle puisse servir aux autres. Au lieu de réinventer sans cesse, on peut déjà trouver certaines réponses dans le livre. L’enjeu est de donner des clés de compréhension pour se positionner aujourd’hui dans une pratique art et handicap.

Comment êtes-vous entré dans le théâtre?

Je voulais absolument faire du théâtre, j’ai donc laissé mon premier métier de psychologue et j’ai commencé à travailler comme comédien avec différentes compagnies. Un jour, une ancienne copine de fac qui était éducatrice me demande si je veux qu’on fasse un spectacle sur la Révolution française –on était en 1989– avec des résidents de son foyer. Et ça a commencé comme ça, à une époque où personne ne faisait ce genre de chose. On était une poignée d’originaux, on ne se connaissait pas entre nous, ça a commencé dans un anonymat complet.

Vous étiez véritablement pionnier en 1989. S’il n’y avait que trois choses à retenir de votre riche carrière au contact des personnes en situation de handicap, quelles seraient-elles?

La première chose, qui me parait très importante, est de respecter ce qui serait la spécificité de la création chez chaque personne en situation de handicap. Au début de l’art brut dans les années 1950, les gens font ce qu’ils veulent. On ne leur donne aucun conseil. Ils peignent parfois même à l’encontre du personnel soignant qui leur retire les couleurs. Ils sont obligés de fabriquer leurs propres matières pour peindre. Dans ce cas, c’est clair que ce sont eux qui s’expriment.

Mais, à partir du moment où on encadre un atelier, le risque est toujours présent de substituer à la création originale d’une personne en situation de handicap quelque chose qui va être plus ou moins ce que l’on voudrait qu’il fasse, une référence éventuellement à la technique et à l’académisme ambiant. On réduit alors ce qu’ils sont capables de faire, et à mon avis c’est esthétiquement beaucoup moins intéressant. La deuxième chose, c’est le constat qu’on est face à la problématique d’une résistible ascension.

Les choses évoluent, c’est très clair. Entre 1989 et aujourd’hui, le paysage de la création théâtrale a totalement changé. Mais il y a encore de grandes résistances, notamment dans le milieu professionnel de la culture. Le combat pour faire reconnaître la particularité de ces créations n’est pas fini. Il faut les défendre pour ce qu’elles sont justement. Il faut faire une place à ce théâtre. Le festival Imago (Île-de-France) a pris une ampleur énorme et c’est la même chose à Sélestat avec le festival Charivari!

Mais il faut encore convaincre, défendre. La troisième chose c’est qu’il manque encore une politique art et handicap réellement cohérente au niveau national. Le ministère de la Culture propose des dispositifs, des guichets, des appels à projet mais cela ne fait pas une politique. L’accès à l’art et à la culture des personnes en situation de handicap reste un énorme problème aujourd’hui.

Je pense qu’il y a vraiment quelque chose à mettre en place, d’autant plus que le ministère de la Culture se pose énormément la question du public. Il fait des enquêtes sur les publics tous les ans, depuis 30 ans, et il déplore que le public se réduise, qu’il soit vieillissant, qu’il ne se renouvelle pas et qu’il ait tendance à se refermer sur lui-même.

Là, avec le public en situation de handicap, on a un public qui a envie! Souvent, il suffit de pas grand-chose! Pour les publics de banlieues, on entend que c’est très compliqué, qu’il faut faire des pieds et des mains pour les amener au théâtre. Mais là, il suffit d’organiser les choses concrètement avec les établissements médico-sociaux par exemple, et on se rend compte que 9 fois sur 10 les gens sont supers heureux! Les bénéfices pour eux sont évidents, le public adhère à la proposition. Simplement, il faut mettre en place les conditions pour qu’ils se retrouvent dans la salle de spectacle ou dans le musée. Visiblement c’est compliqué, mais ça ne devrait pas l’être.

C’est pour cette raison que vous avez créé en 2010 un Pôle Art et handicap au Théâtre du Cristal?

Oui complètement. Cela ne figure pas dans le livre, car j’ai resserré sur la problématique artistique. Mais la question de l’accessibilité est un vrai sujet ! Le portage politique est extrêmement important, tout comme les modalités très concrètes qui associent les collectivités territoriales, les établissements médico-sociaux et les structures culturelles. Le Pôle art et handicap fait justement le lien entre ces différents partenaires.

Pour terminer, à quels lecteurs destinez-vous votre livre?

Que vous soyez lecteur éclectique, pionnier expérimenté frayant de longue date avec l’art et le handicap, converti de la dernière heure, chercheur sensible à de nouvelles approches, ou simplement batifoleur de librairies passant par là, ce livre a sans doute quelque chose à vous transmettre.

Propos recueillis par Aurore Boby

Olivier Couder, Présence du handicap dans le spectacle vivant: le Théâtre du Cristal, aventure humaine et challenge artistique, Ed. Erès, 224 pages, 23€